Comme beaucoup de professions, les photographes sont touchés par les conséquences du covid-19 et du confinement. En tant que photographe à mon compte depuis 2014, je ne peux plus recevoir mes clients dans mon studio, ni même réaliser des prestations à domicile, comme les coiffeurs, esthéticiennes et d'autres professionnels qui payent les conséquences de la négligence de certains.
Pourtant, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les conséquences pour notre profession ne s'arrêtent pas à cette interdiction temporaire due au confinement. Photographe événementiel et de mariage, les restrictions qui s'ensuivront, à la fois légales mais également émotionnelles auront un impact plus grave encore pour nous, économiquement mais également plus en profondeur.
J'ai eu la chance de pouvoir accompagner tous les couples de mariés qui me font confiance pour le report de leur mariage. Dans le flou artistique que nous vivons actuellement - tant historiquement que légalement, là encore - il est normal de prendre peur et de vouloir reporter son mariage à une date que l'on pense plus sereine. 2021 ne semble pas si ensoleillé qu'on l'aurait cru en été 2020, l'incertitude est totale. Plus grave encore, les événements comme les expositions, les salons, les marchés de Noël et nombre d'autres sont annulés, nous privant là encore d'une partie de notre chiffre d'affaire pour ceux qui prennent des photos de ces animations ou les photojournalistes. Toutefois, des mesures d'aides financières ont été mises en place et semblent, pour certains, suffisantes pour garder la tête hors de l'eau. Toutefois je ne pointe pas du doigt l'aspect économique du péril qui menace les photographes, mais de périls bien plus insidieux car sournois, muets et beaucoup plus profonds.
Mes collègues et les employés de mairies me disent la même chose : plusieurs mariages ont été carrément annulés. Des salons, organisés par de petits comités ou des associations, annulés car les fonds mobilisés se sont évaporés. Vous qui lisez ces mots, que vous soyez concernés ou non, prendriez-vous le risque, aujourd'hui, de travailler des mois et d'investir des milliers d'euros pour l'organisation d'un événement (privé ou public peu importe) qui risque de se voir annulé 2 jours avant car le covid-19 se propage à nouveau de façon alarmante ? Pour ma part, je continue plus que jamais à promouvoir mon art et organiser des expositions pour partager mon travail avec vous. Ma passion est plus forte que le covid-19, et je sais que pour certains amis artistes il en va de même. Mais pour ceux qui peinent à joindre les deux bouts, ce dernier coup de massue a en partie ébranlé leurs convictions. Je ne les critique pas, ils sont humains, c'est la conjoncture et la société qui sont la cible de ma verve. Car ces difficultés se présentent à une heure où la profession de photographe ou de tout corps de métier lié entre autres à l'animation et l'événementiel - hormis pour les grands-messes célébrées par les "artistes" issus de la télé réalité, bien sûr - est déjà mise à mal.
Autrefois, le photographe était le seul qui immortalisait nos souvenirs et celui que l'on avait plaisir à engager lors des événements heureux qui rhytmaient nos vies. Heureusement, c'est encore le cas aujourd'hui, bien que dans une moindre mesure. Les smartphones qui aujourd'hui servent à 90% d'appareil photo et à moins de 5% de "téléphone" fournissent un ersatz de photo que le marketing nous fait prendre pour une évolution. A quoi bon engager un photographe professionnel local si l'on peut investir dans un concentré d'électronique réalisé à l'autre bout du monde, qui nous donnera l'illusion de pouvoir remplacer ce photographe ? J'exagère bien sûr, mais cette réflexion existe déjà et les difficultés actuelles dues au covid-19 (et à certains professionnels oisifs qui préfèrent se tirer dans les pattes plutôt que de chercher des alternatives à leur méthode de fonctionnement) ne feront qu'exacerber ce péril.
Dans le cadre privé ou professionnel, tout le monde sera enclin à se faire autodidacte. Qu'il s'agisse de photo, de décoration, d'animation, les restrictions empêchent les professionnels de travailler, mais n'empêchent pas nécessairement les personnes de se retrouver ni les travailleurs au noir de braver un autre interdit. Il est bien sûr nécessaire de s'adapter, mais certaines adaptations deviendront permanentes et saperont les contrats de beaucoup de professionnels. Une association fera elle-même les maquillages et animations de ses événements plutôt que d'engager un animateur ; pareil pour tonton Jean-Claude qui aroberera fièrement son gilet de photographe à 8 poches imprégné de naphtaline pour devenir le temps d'une journée photographe de mariage.
Ces comportements menaçants pour les artisans locaux mais qui encouragent encore plus les ventes des multinationales sont déjà présents, et ne feront que croître suite à la situation sanitaire due au covid-19.
Je ne vais pas sortir dans la rue et manifester contre les mesures de restrictions parfois nécessaires à endiguer la pandémie. Elles ne sont pas la cause directe du péril dont je parle dans cet article. Il faut chercher ses racines dans le fond même de notre société. Pourquoi ces mesures ont-elle été nécessaires ? Qu'est-ce qui tend à exacerber les comportements qui nuisent à nos métiers et notre bien-être, et qui ces comportements touchent-ils le plus ? Quels métiers et objets, sortis de la sphère de la société et de la morale de notre entourage, sont-ils vraiment nécessaires ?
Mais ici c'est un blog photo, pas un blog philo, je n'élaborerai pas davantage sur ces questions :) Je souhaite juste que chacun ai du grain à moudre pour aller au-delà des conclusions triviales et rapides que l'on sème comme une traînée de poudre. Ce qui nous touche aujourd'hui n'est pas dangereux que pour la photo, et me pousse personnellement à des réflexions qui vont au-delà ma "vie immédiate" pour citer Paul Eluard. Peut-être notre art et notre condition sortiront-ils grandis de cette épreuve - pourvu que l'on sache s'adapter pour la dépasser.
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