Je le respecte et l'ai pratiqué, je critique seulement sa place :p
Le photojournalisme est né assez rapidement après l'invention de la photographie. Si celle-ci a apporté une révolution dans la réalisation du portrait - qui constituait auparavant l'apanage des peintres et était réservé à une élite qui pouvait se payer les services d'un tel artiste - elle a également permis une révolution du journalisme, vers le milieu du 19e siècle (ne vous inquiétez pas je ne fais pas un cours d'histoire). Montrer de vraies images de guerre, d'événements sociaux qui se déroulent dans d'autres parties du monde a permis à la presse d'illustrer ses articles, de montrer les choses telles qu'elles se déroulent (ou telles que l'on veut faire croire qu'elles se déroulent, parfois). Cette évolution dans le monde de l'image a apporté une dynamique, une capture "sur le vif" qui n'existait pas auparavant. Les travaux de photographes comme Robert Doisneau, Robert Capa, (mais pas le Petit Robert) ont apporté une fraîcheur et une approche novatrice de cette pratique (encore récente à l'époque) qu'est la photographie. Le photojournalisme éclatait alors dans toute sa gloire, exhibant comme jamais auparavant des instants de vie - ou de mort. Comment est-il aujourd'hui meurtrier ?
Robert Doisneau par Peter Turnley
Aujourd'hui, plus de cent voire cent cinquante ans ont passé depuis cet avènement du photojournalisme. Son importance n'en est toutefois pas amoindrie. Il est nécessaire pour rendre compte de notre réalité, de notre monde. A la fois politique, social, polémique, le photojournalisme a encore évolué et continuera toujours à évoluer en même temps que les sociétés. Dénoncer des éléments passés sous silence par un gouvernement, prôner la liberté d'expression, ou au contraire servir d'instrument politique, cet outil d'information ou de désinformation est, à l'heure des réseaux sociaux et des directs, plus que jamais au centre des media. C'est un fait, compréhensible et nécessaire. Pourtant, et comme c'était le cas il y a cent ans, je vois encore ce type de photographie dans les milieux artistiques et muséaux. De nombreux magazines, concours, et prix qui se revendiquent "artistiques" récompensent presque exclusivement des travaux de photojournalisme. Celui-ci ne se suffit-il pas à lui même, doit-il en plus ravir - allant parfois jusqu'à les écraser - les notions de photographie artistique ?
En tant que pratique pure, le photojournalisme a quelque chose d'intrinsèquement artistique, je ne le nie pas. Les images décrochées en temps de guerre, les instants volés dans l'intimité de personnes hautes en couleur parfois dans des bidonvilles ou des milieux underground, sont essentiellement artistiques. Elles sont nées d'une démarche et d'un état d'esprit, d'un état d' "être" artistiques. Et ce quelle que soit leur qualité visuelle, qui n'a ici pas vraiment d'importance.
Doit-on pour autant réduire l'art photographique au photojournalisme ? Réfléchissons à ce qui constitue l'essence de la photographie : capter la réalité, par des principes physiques et chimiques. Représenter la réalité. Dans ce qu'elle est certes, mais également dans ce qu'elle pourrait devenir. Quel art, mieux que la photographie, pourrait faire émerger de notre réalité une conception nouvelle du monde, une autre réalité, à l'aune d'images tirées de la réalité actuelle ? Mieux, imaginer des images d'une réalité future, à partir d'éléments du présent ? Peut-il y avoir un art (visuel) plus surréaliste que la photo ?
J'ai eu l'occasion d'avoir un entretien avec le directeur d'un espace d'art contemporain et de lui présenter mon travail. Par rapport à ce qui est d'ordinaire présenté dans ce type d'espace, à la photo d'art dite contemporaine, celui-ci était en décalage. J'utilise en effet beaucoup la mise en scène, la symbolique, la réflexion dans mes travaux phoographiques. Le concept de réalité au sens photojournalistique du terme y est généralement absent, ce qui est ressorti de notre débat durant notre entretien. La mise en scène ne serait donc pas contemporaine, voire même pas "photographique" ? J'ai depuis consulté de nombreux concours, qu'ils soient de magazines ou d'espaces d'exposition (en France ou à l'international). Les travaux des derniers lauréats m'ont toujours laissé pantois. Des projets relatant le quotidien de travestis, la place des femmes dans telle société, la vie des enfants en temps de guerre. Ces sujets sont touchants et je ne les renie pas. Mais pourquoi la photo d'art y semble-t-elle nécessairement réduite ? Les "grandes instances photographiques" m'ont toujours semblé présenter des travaux typiquement photojournalistiques en parlant de photo artistique. Pas de mise en scène, d'émergence d'idées ou de concepts nouveaux (au sens pur du terme). De nouvelles personnes, de nouvelles vies, mais des expériences sociales qui au final tournent en rond - et continueront de tourner en rond à moins d'une révolution radicale dans la société : là, nous auront un photojournalisme vraiment nouveau. Une esthétique souvent réduite à peau de chagrin, peut-être pour se rapprocher de la peinture moderne ou surréaliste et gagner en "noblesse" ou en "respectabilité". Est-ce bien la place de l'art et son but de rechercher ce type de considérations ?
Peut-être ces "grands pontes de la photo" cherchent-ils à s'éloigner de la photo de mode (qui n'a strictement rien d'artistique) dont l'esthétique est de plus en plus poussée à outrance et ravit le coeur artistique d'une photographie. Comme les peintres, en leur temps, ont choisi une esthétique nouvelle pour crier la libération de la peinture de ses carcans mécénal et politique. En tâclant la photo de mode de cette manière, et en poussant la "photo d'art" à s'en éloigner en rejoignant le secteur photojournalistique, ces instances photographiques ne font ni plus ni moins que devenir le meurtrier de l'art. Détruire sa liberté d'expression, son originalité, son esthétisme. Bien sûr, nous pouvons toujours créer des choses à notre image et les nommer art. Peut-être pourrons-nous créer la photo la plus artistique au monde. Mais si elle ne remplit pas ces critères contemporains et photojournalistiques, elle ne sera jamais mise en valeur en tant que telle.
Le photojournalisme est meurtrier de l'art par sa sur-représentation dans les canaux et les contenus mis en avant aujourd'hui. Réduire l'art photographique au photojournalisme, ce serait pour moi comme réduire la peinture au réalisme. Il n'y a pas d'un côté, la photo purement esthétique (photo de mode, de pub, mises en scènes bateau qui cartonnent sur les réseaux sociaux) et de l'autre le photojournalisme. La photo ne se résume pas à cette dualité, et heureusement car on pourrait croire deux camps en guerre (vous voyez où je veux en venir, origines du photojournalisme et tout ça). La photo tire son essence de la réalité, certes, mais en tant qu'art, elle est pour moi bien davantage. Elle nous lie à la réalité, à nous-même, mais surtout à ce que nous voulons faire de cette réalité. La représenter et montrer au monde ce qui se passe, y dédier sa vie, c'est très bien. Mais ce n'est pas suffisant pour permettre à la photo et à l'humanité d'éclore dans toute leur gloire. J'ai toujours cherché à créer des choses nouvelles, à aller au-delà du réel pour découvrir de l'inattendu. L'échange avec les autres est primordial, mais il n'est selon moi pas une fin en soi. Il est là pour nous nourrir, nous ouvrir à d'autres idées qui une fois muries permettrons d'avancer vers une autre version de nous-même et une autre représentation du monde. Le photojournalisme constitue cet échange, mais il n'est pas la fin en soi de la photographie, encore moins de l'art. Il est nécessaire de le dépasser pour surpasser le stade actuel de la photographie, le nier serait une erreur, se faire meurtrier de l'art et de ses possibilités inconnues. Les critères défendus par les (parfois auto-proclamés) "grands pontes" de la photo, comme le fameux festival d'Arles, sont pour moi incomplets et parfois dangereux (je reviendrai à ce festival dans un autre article, soyez rassurés ;). Dangereux car clamés comme vérité mais réducteurs pour l'épanouissement de l'art photographique et de l'art en général.
Je parlais de désinformation et d'instrumentation politique de la photographie au début de cet article. La boucle est-elle bouclée ?
Je vais clore cet article en vous annonçant la sortie prochaine de mon livre, en partie photographique - mais en partie seulement. Dans l'optique que j'ai décrite au long de cet article, je souhaite aller au-delà de la photographie et du phoojournalisme pour les mêler à autre chose. Vous en saurez plus à la sortie de l'ouvrage, qui associe de nombreux pans de mes expériences artistiques ;)
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